'Financement des partis: assez parlé'

Les appels à la réforme du financement des partis se font de plus en plus pressants. Experts,  institutions internationales et hommes et femmes politiques eux-mêmes, tous, sont unanimes : le système actuel n'est pas tenable. Le panel citoyen "We Need To Talk" s'est également penché sur la question et a remis au Parlement 34 propositions de réforme prêtes à être mises en œuvre. Avec cette lettre ouverte, 67 personnalités publiques se joignent à leur appel. Assez parlé, il est grand temps d'agir !

À la page 83 de l'accord de coalition Vivaldi du 30 septembre 2020, on peut lire ceci :

“Nous poursuivons la réforme du système de financement des partis, comme l'a décidé la Chambre, notamment en renforçant la transparence et le contrôle des recettes et des dépenses."

1214 jours plus tard, force est de constater que bien peu de progrès ont été réalisés. C’est même tout le contraire. En raison de l'indexation, les dotations annuelles des partis ont explosé pour atteindre la somme importante de 78 millions d'euros l'année dernière. Notre pays est une aberration européenne : les partis des Pays-Bas, de l'Allemagne, de la Suède et du Danemark, par exemple, doivent se contenter d'une fraction du financement de leurs homologues belges.
 

Manque de transparence

Le montant des dotations n'est pas le seul sujet de préoccupation. Le cadre législatif relatif au financement des partis politiques et de leurs campagnes électorales a également besoin d’un changement en profondeur. Depuis des années, le Conseil de l'Europe pointe du doigt des problèmes profondément enracinés. La politique belge s'octroie de l'argent et est ensuite contrôlée... par elle-même. En effet, il n'y a pratiquement pas de contrôle indépendant. L'arène politique, qui devrait exceller en matière de transparence et d'intégrité, ressemble plutôt à un atelier obscur pour des flux d'argent très difficiles à analyser. Cette situation est pernicieuse pour la confiance du public dans la démocratie. Les recettes augmentent, mais la crédibilité s'érode.

En outre, le trésor de guerre des partis, qui semble inépuisable, leur permet de faire campagne en permanence (en ligne), ce qui compromet encore davantage la stabilité de notre système politique et obscurcit le débat démocratique par des chamailleries en ligne et des "fake news". L'accent est mis de plus en plus sur les phrases chocs et la polarisation, et de moins en moins sur la politique des idées. L'année dernière, les partis ont dépensé ensemble plus de 6 millions d'euros en publicités sur les médias sociaux. À ce titre, la Belgique est le champion européen incontesté depuis des années.

Plus de sous, moins de membres

Les partis politiques dépendent de l'argent public à hauteur de 75 % de leur financement. En soi, ceci n'est pas nécessairement une mauvaise chose ; personne ne souhaite en effet revenir au Far West non réglementé de l'époque des pots-de-vin. Si les subventions publiques atténuent le risque de corruption, elles ont aussi pour effet que les partis sont moins incités à maintenir des liens étroits avec la société, par exemple en rassemblant leurs propres moyens financiers par les cotisations de leurs membres. Plus les dotations des partis augmentent, moins ils ont de membres, indice possible d’une aliénation croissante des citoyens qu'ils sont censés représenter. Cela se reflète également dans l'isoloir : élection après élection, de plus en plus de citoyens restent chez eux ou votent de manière invalide. 

Le système actuel comporte également un “effet Matthieu” : les partis et groupes les mieux établis sont favorisés au détriment des petits partis et des nouveaux venus. Cette situation fait obstacle aux nouveaux mouvements politiques qui souhaitent apporter des idées neuves à la table des négociations.

Les partis s'accordent largement à dire que le système de financement actuel n'est pas tenable.  Ils ont d'ailleurs lancé de nombreuses propositions, sans prendre cependant de mesure concrète en faveur d'une réforme. La racine du problème réside dans le fait que les partis politiques décident eux-mêmes de leur propre financement. Aucun parti n'ose dépasser ses propres intérêts, de peur sans doute d’y perdre plus que ses concurrents politiques.

La voix du citoyen

Le panel citoyen "We Need To Talk", composé de 60 citoyens tirés au sort et reflétant autant que possible la société belge, a élaboré 34 propositions politiques concrètes qui jettent un regard neuf sur la question. Ces propositions nuancées, résultant de discussions avec des experts universitaires ainsi que des présidents de partis, offrent de nouvelles perspectives sur la manière de parvenir à un financement des partis plus équilibré et démocratiquement responsable.

En mai dernier, le panel citoyen a présenté ses conclusions à la Chambre en Commission Constitution et Renouveau Institutionnel. Tous les parlementaires, sans exception, ont fait l'éloge du travail accompli et ont promis d'unir leurs efforts en vue d'une réforme. Aujourd'hui, six mois plus tard, c'est le silence.

Le panel retourne au Parlement le mercredi 31 janvier 2024 pour évaluer les possibilités d'initiative législative au sein de la législature actuelle. Par la présente, nous, signataires de cette lettre, lançons un appel pressant pour que l'on se mette enfin au travail. Toutes les pièces du puzzle sont sur la table : études d'experts, rapports internationaux, propositions des partis et maintenant recommandations des citoyens. Mesdames et Messieurs les politiques, nous vous demandons donc de passer à l’action.

Les citoyens ont contribué pendant des années à financer le fonctionnement de vos partis. Aujourd'hui, ils proposent des idées pour améliorer ce financement. L'heure est au courage politique. Unissez vos forces et montrez que vous prenez au sérieux la réforme du financement des partis.

Signé par 

Adrienne Axler, présidente Club L
Abdelkarim Bellafkih
Edith Bertholet, PointCulture
Anne-Emmanuelle Bourgaux, UMons
Nicolas Bouteca, UGent
Bea Cantillon, professeur sociologie UAntwerpen
Alexandre Caputo, directeur artistique Théâtre Les Tanneurs
Karen Celis, VUB
Adélaïde Charlier, activiste pour la justice climatique
Piet Colruyt, Impact House
François de Borchgrave, KOIS
Etienne de Callatay, Orcadia AM
Paul De Grauwe, professeur London School of Economics & Political Science
Anne Teresa De Keersmaeker
Béatrice de Mahieu
Emilie de Morteuil
Christian de Visscher, UCLouvain
Ank De Wilde, présidente Itinera
Bernard Delvaux
Ignaas Devisch, Itinera - UGent
Carl Devos, UGent
Alessandro Drappa, Groupe du Vendredi
Ben Eersels, G1000
Vincent Engel, UCLouvain
Fouad Gandoul, politologue
Alicja Gescinska, directeur Philosophy by Research - Université de Buckingham
Jan Goossens, Molenbeek for Brussels 2030
Jelle Haemers, KU Leuven
Stefan Hertmans, auteur
Jean Hindriks, Itinera - UCLouvain
Jonathan Holslag, VUB
Luc Huyse, professeur émérite KU Leuven et auteur
Dimokritos Kavadias, professeur VUB
Caroline Lamarche, autrice
Tom Lanoye, auteur
Cato Léonard, Glassroots
Bart Maddens, professeur ordinaire KU Leuven
Sofie Mariën, professeur sciences politiques KU Leuven
Michel Maus, VUB
David Méndez Yépez, auteur-compositeur-interprète
Jan Mertens, président du think tank Oikos
Jeroen Olyslaegers, auteur
Céline Parotte, ULiège
Min Reuchamps, UCLouvain
Karel Reybrouck, UCLouvain
Filip Rogiers, auteur et professeur
Kevin Saladé, président du Centre d’Action Laïque de Charleroi
Benoit Scheuer, sociologue
Steven Serneels, Impact Finance Belgium
Dave Sinardet, professeur sciences politiques VUB
Kris Smet
Guy Tegenbos
Ingrid van Biezen, ULeiden
Gide Van Cappel, De Wakkere Burger - chercheur en sciences politiques VUB 
Magali Caroline Van Coppenolle, Groupe du Vendredi 
Kathleen Van Den Daele, directeur LEVL
Anne-Laure Van der Wielen
Emilie van Haute, ULB
Geert van Istendael, auteur
Bart Van Loo, auteur
Philippe Van Parijs, UCLouvain et KU Leuven
David Van Reybrouck, G1000
Paul Verhaeghe, professeur émérite, UGent
Thibault Viaene, président Groupe du Vendredi et avocat
Karel Vinck, Active Director of Companies
Bram Wauters, UGent
Wouter Wolfs, senior researcher KU Leuven -  expert en financement des partis
Fatima Zibouh, Docteur en sciences politiques
Walter Zinzen