Récit : panel citoyen jour 1

Récit du panel par David Van Reybrouck.

SOIXANTE SUR SOIXANTE

Elle est l'une des premières à arriver ce matin. Je lui ai parlé dans une salle de réunion encore vide. Marie", lisait-on sur son badge. Née au Congo, elle est arrivée en Belgique à 23 ans et est devenue infirmière quelques années plus tard. Cela fait 25 ans qu'elle travaille de nuit dans une maison de retraite à Waterloo. Elle a quatre enfants, de jeunes adultes déjà. Pourquoi a-t-elle accepté de participer au panel citoyens sur le financement des partis en Belgique ? "Par curiosité", répond-elle en riant. Sacrifier trois week-ends pour un sujet politiquement bloqué depuis 15 ans ? "Allez, un week-end par mois, ça va encore. Je veux savoir comment ça marche. Et si je peux apporter quelque chose. » 

 Samedi matin , c’était le lancement de We Need To Talk, un panel citoyen en préparation depuis plus d’un an. Ce groupe a travaillé d'arrache-pied et c’était incroyable de voir arriver les soixante citoyens qui ont été tirés au sort il y a quelques semaines et expliquer leurs motivations.  

"Je suis ici par devoir", dit Bilal, 34 ans, chauffeur de taxi à l'aéroport de Zaventem. "Cela nous concerne tous. Le moins que l'on puisse faire, c'est de s'informer correctement et de donner son avis". Il commence normalement son travail à 5 heures du matin, mais pour une fois, il a pu faire la grasse matinée. "Et encore, j'étais là le premier ! 

Marc et Gino font connaissance autour d'un café. Marc, 66 ans, est un informaticien à la retraite originaire d'Alost. Gino, 45 ans, est originaire de Grammont et est professeur de construction. Marc confie: "Cela m'intéresse", "la politique m'intéresse". "Je suis curieux de voir ce qu'il adviendra de nos conseils", répond Gino. 

Je me promène, la salle est de plus en plus remplie. Cela fait des mois que nous travaillons sur ce sujet, avec le G1000, avec les groupes de réflexion, avec les organisations partenaires, et voilà que soudain des visages apparaissent et que l'on se rend compte à nouveau de la raison pour laquelle on fait cela. Pour les gens. Pour rassembler un échantillon représentatif de la société et engager une conversation.  

Steffano a l'air un peu perdu. À 16 ans, il est l’un des plus jeunes participants. À l'âge de 3 ans, il a quitté le Pérou pour s'installer en Belgique avec ses parents. "Je pense que c'est vraiment cool de voir ça ici. Et j'espère que ce que nous disons ici peut changer quelque chose". 

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Marie, Bilal et Steffano

TRANSPARENT MAIS ILLISIBLE 

"Au niveau du contrôle du financement des partis, n’est-ce pas, en fait, la politique qui contrôle la politique ? " We Need To Talk a commencé il y a quelques heures à peine et déjà, les citoyens ont des questions pointues à poser aux experts.  

Jean Faniel (CRISP - Centre de recherche et d’information socio-politique) et Bart Maddens (sciences politiques à la KULeuven) comptent parmi les plus grands spécialistes du financement des partis dans notre pays. Tous deux expliquent en détail comment le financement s'est développé depuis 1830 et décrivent la situation actuelle en termes de recettes et de dépenses. Leurs présentations et leurs illustrations sont extrêmement instructives et expliquent de façon accessible ces sujets techniques.  

Le rythme est-il bon ? Ça ne va pas trop vite ? Les citoyens se sentent-ils bien ? Cette diapositive est-elle claire ? Des questions que les organisateurs se posent inévitablement. La qualité des interventions des participants après la première session d’information m’impressionne et me rassure. "Comment a-t-on établi à l’époque cette somme forfaitaire de 175 000 euros par parti ?" "Ne pourrait-on pas indiquer sur notre déclaration d’impôts si nous pouvons faire un don à un parti, comme c'est le cas en Allemagne où les gens peuvent choisir à quelle religion va leur impôt ecclésiastique ?" "Où peut-on trouver ces rapports financiers annuels ? Et donc aussi cette question qui revient souvent : "N'est-ce pas la politique qui contrôle la politique, en fait ?" 

Jean Faniel répond: "Nous sommes en effet dans un système où les auditeurs sont les audités. Cela peut paraître suspect, voire louche. D'un autre côté, ces politiciens ne se font pas de cadeaux entre eux. On a même parfois l'impression qu'ils règlent leurs comptes entre eux lorsqu'ils procèdent à l'audit. Alors oui, c'est de la maîtrise de soi, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de contrôle. Mais rien n'empêche d'avoir un système différent et d'y réfléchir". 

Petite précision, ce ne sont pas les organisateurs de ‘We Need To Talk’ qui ont choisi les experts. Ils ont été officiellement nommés par le comité de supervision indépendant qui veille à ce que le panel des intervenants soit équilibré. 

Pendant la pause-café, je discute avec Darlin, 17 ans, d'Anderlecht. Il est "très, très honoré" de pouvoir participer. "Pourquoi moi ?" dit-il timidement. Il est en dernière année et vient d'écouter Bart Maddens. Il est choqué par la "transparence" des comptes. Le spécialiste vient de lui dire que ces comptes sont bien rendus publics chaque année sur le site de la Chambre, mais qu'il s'agit d'un fichier lourd à télécharger, de pas moins de 2 000 pages, avec des tableaux interminables. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. L'achat de biens immobiliers, par exemple, est amorti sur 20 ans, ce qui donne l'impression que ces bâtiments s'évaporent. Il n'y a pas de cadastre des biens immobiliers que les partis possèdent. "On dirait que l'intention est d'empêcher le grand public de voir", dit le jeune Darlin, sincèrement surpris, "comme si les gens cachaient délibérément certaines choses". 

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Darlin (en haut à gauche), Jean Faniel (en bas à gauche) et le panel